Une Sortie Pour Le Moins Extravagante || Amadéa.

Amadéa & Ariel

Il faisait beau. Au dehors, les jeunes comme anciens sorciers riaient gaiement d’un rien, éblouis par l’étincelante lumière du soleil hivernal. Ils étaient regroupés par petites bandes, et cet assemblage d’individualités formait un tout immense ; il y avait foule. Pas étonnant : c’était une journée sans apprentissages, et cette date marquait une sortie inhabituelle qui avait pour but Pré-au-Lard. D’ailleurs, on envisageait sérieusement d’y passer son après-midi au vu de la météo du jour. Ariel était aussi de la partie. Bien sûr, il ne se mêlait pas à cet attroupement festif, mais il était bien là, sombre tâche parmi cette rayonnante jeunesse. Vous me direz, comment se fit-il qu’il se joigne à telle compagnie, lui qui portait en horreur la communauté et la félicité ? Aucune idée, on ne savait ce qui lui passait parfois par la tête, bien qu’il soit d’une rationalité extrême. Envie d’une bièraubeurre sûrement … Bref. Lorsque que ce gigantesque troupeau de sorciers surexcités partit en cavale pour rallier le village à l’ambiance joviale, il fut emporté par la masse, incapable de s’extraire pour marcher de son propre gré. Il grogna sourdement. Il était totalement impuissant face à cette déferlante humaine. Il se laissa donc porter …

Décidément, cette journée commençait vraiment mal ; il était déjà exaspéré. Il s’en voulait d’avoir voulu se lancer dans cette "aventure". C’était quoi son prétexte déjà ? Il ne s’en souvenait plus. Ils arrivèrent bientôt en vue de Pré-au-Lard, le hameau construit en contrebas de l’école de sorciers Poudlard. Les boutiques et bars s’affairaient déjà à rendre l’endroit accueillant. Une fois entrés dans la ruelle principale et unique de la bourgade, les élèves se séparèrent, chacun ayant sa destination parmi Farce & Attrapes, Bièraubeurres, Cadeaux, etc. La seconde option lui convenait bien ; il se dirigea sans sourciller vers le bar à l’enseigne folklorique, Le Chaudron Baveur. Le lieu était connu de tous, et fréquenté de tous. Il entra, poussant doucement la porte grinçante en bois. La chaleur l’assaillit brusquement, effet probable de la nombreuse clientèle accoudées aux diverses tables rustiques. Inutile de préciser ce qu’il commandait quand un serveur l’aborda. Il attendit, projetant son regard dans la salle entière. L’endroit était vaste, aussi eut-il le loisir de s’adonner à une longue observation. Il reconnut quelque visages parmi la foule : des élèves, des professeurs, la routine. Sa bièraubeurre vint bientôt ; il remercia faiblement le serveur, sans lui accorder le moindre coup d’œil. Il but une longue gorgée de sa boisson. Ca allait déjà un peu mieux … Seulement, ce qu’il vit en anéantit immédiatement l’effet. Une jeune sorcière, tout sourire, se dirigeait vers lui. Sans sourciller, elle s’assit en face de lui, ses lèvres tirées vers le haut toujours. Il pouvait mettre un nom sur ce visage d’une grande amabilité : Amadéa. Il ne savait pourquoi, mais toujours tentait-elle de lui dérober un rire, de l’extraire de son enfermement certain, de le ramener au sein de la société magique. Effort considérable, et jusqu’ici inutile. Il soupira. Il s’attendait au pire …

Petite fille, tu délires. Des mains la tenaient fermement, l’obligeant à rester étendue sur la stalle froide qui glaçait son dos. Un homme brandissait à bout de bras une potion orangée, telle une seconde fontaine de jouvence. L’adulte se débâtit davantage ; des garrots de sureté vinrent entourer ses bras et ses jambes. Piégée. Tu vois le monde à travers tes couleurs, tes odeurs. Tu te détruis, c’est la seule solution. Allaient-ils la tuer? Un tuyau qu’on enfonça dans sa gorge l’empêcha d’hurler ; elle voulait vivre, putain! Tu paniques, tu étouffes, tu trembles. Tu sais que tu as déjà perdu, que l’avenir est établi et que tu ne pourras rien y changer. Des doigts s'emparèrent des siens, rassurants. « Amadéa…c’est pour ton bien, calme-toi!» Pour son bien? Comment une telle douleur pouvait lui être bénéfique? Le liquide coula dans sa bouche ; elle l’avala par peur de s’étouffer. Il brûlait, déchirait ses entrailles, lacérait son ventre. Horrible. C’était horrible. Tu n’as aucun contrôle sur tes émotions ; ils valsent dans ton cœur, y sème le désordre. Retrouver son sens de la logique, apprivoiser la souffrance. Madée s’efforça de réfléchir, de trouver une explication à cette situation. Que faisait-elle, il y de cela quelques heures? Elle se dirigeait avec sa génitrice vers l’hôpital, pour un nouveau traitement… Ravale tes larmes, garde ta fierté. Tu n’es même pas digne de pleurer. C’était risible. Pourquoi avoir accepté? Souffrir ainsi, alors qu’elle savait très bien qu’en final, rien ne changerait…La prise sur ses doigts se raffermit ; ah oui…pour sa mère. C’était pour sa mère, qu’elle faisait tout ça.Tu es mélangée, tu ne sais pas vers qui te tourner. Y croire, c’est donner du pouvoir à quelque chose qui ne devrait pas en avoir. Aussi rapidement qu’elle était apparue, la douleur cessa. Un sort fut murmuré doucement et la jeune femme se retrouva sur ses pieds, maintenu solidement par deux gaillards. Une tornade blonde s’engouffra dans ses bras : « Le médicomage dit que ça va marcher, chérie…! Tu vas peut-être guérir! » La tête lui tournait. Madée s’efforça toutefois de faire un sourire à celle qui lui avait donné la vie. Un cadeau empoissonné, certes. Mais qui refuse les présents ? La poufsouffle se promit pourtant mentalement de ne plus céder. Ce traitement, bref mais violent, avait failli la faire virer folle. Petite fleur, tu rêves trop. Dans la vie, il n'y a rien de rose, tout est noir ou gris. Même le blanc a déserté, il a été tordu, saigné, dépouillé. « C’est génial, m’man! » Ça n’allait pas fonctionner. Elle le savait, elle le sentait. Oh, elle pouvait espérer et attendre un miracle, bien sûr. Mais il ne viendrait pas.

Des infirmières l’aidèrent à revêtir ses vêtements. « Vous avez été courageuse aujourd’hui, Mlle. Belisario. » Ouais. Si on peut appeler courage d’hurler alors qu’un médicomage injecte une potion dans votre organisme. La femme attendit quelques heures avant de quitter l’hôpital, en direction de Pré-au-lard. Sa mère le lui avait déconseillé mais Amadéa y avait tenu mordicus ; sa maladie et ses traitements ne devaient avoir aucun effet sur ses sorties en dehors de l’école. Résiste, montre tes dents. Tu crèveras anéantie, comme toutes les autres avant toi. Ses camarades allaient se poser des questions, lui demander où elle était passée…Une tante décédée. C’était crédible, non? Ils ne devaient pas savoir. Plus simple, plus facile. Que d’avouer sa faiblesse, face à la vie..face à la mort. Tu ignores ce que veut réellement dire vivre; tu n’en connais qu’une partie, celle qui te gruge et te dévore. Le médico se trompait. Elle était plus forte que ce qu’il pensait…Elle le savait, elle. La poufsouffle soupira. C’était si facile d’entretenir de telles pensées…de croire que tout allait s’arranger et rentrer dans l’ordre. C’était un rêve, une utopie qui ne parviendrait jamais à terme. Bats-toi, c’est tes illusions. Mais tu gaspilles ton énergie, tu luttes vainement. Un faux sourire s’accrocha sur ses lèvres alors qu’elle franchissait l’enseigne d’un pub. Faire semblant. C’était son jeu préféré… Faire semblant que son plus gros problème, c’était d’être seule pour aller à la fête. Faire semblant qu’elle était véritablement heureuse d’être là, parmi tous ses compatriotes. Faire semblant qu’elle avait un avenir, elle aussi. L’adulte ferma un instant les yeux avant de les rouvrir sur un jeune homme assit seul à une table. Elle serra les dents ; Ariel. Elle le détestait ; l’aurait volontiers poussé dans un ravin à la première occasion. Il avait un corps en santé, un futur devant lui. Et pourtant, il déconnait. Il gâchait ce qui lui était offert, le jetait presque aux orties. Madée haïssait rarement, mais pour ce serpentard, l’exception confirmait la règle. Il avait ce qu’elle désirait tant ardemment sauf qu’il s’en foutait royalement. Pauvre idiot. Elle s’évertuait, depuis le début de l’année, à le faire sortir de cette torpeur qui semblait l’habiter.

Étirant sa bouche davantage en un immense sourire, la jaune et argent alla s’installer en face du serpentard. Sur sa demande, un serveur apporta ensuite deux immenses chopes de whisky, qu’il posa devant eux. La potion avalée quelques heures plus tôt se mélangeait-elle bien avec l’alcool? Il était temps de le savoir. Ça ne sert à rien de vouloir exister. Inutile. Complètement inutile. N’étais-ce pas l’occasion parfaite pour dérider un peu le jeune homme? « Tu bois, cher Iceberg? »L’adulte accompagna sa réplique d’une moue moqueuse. Son but n’était pas d’insulter Ariel. Elle désirait simplement le faire réagir, l’obliger à faire quelque chose de sa vie…Une vie, qu’elle, elle n’aura jamais la chance d’avoir.
Petite fille, tu délires ...

Il sut d'emblée que tel sourire ne présageait rien de bon. Amadéa, cette poufsouffle à peine plus agée que lui, était la jovialité incarnée. Il ne la connaissait que peu ; à vrai dire, il ne s'intéressait à personne. On reprochait à Ariel d'être de marbre face à toutes circonstances, à toute compagnie. Lui et cette femme, c'était le jour et la nuit. Le jeune homme était égocentrique, antisocial et persifleur; c'était sa vie. Elle paraissait être d'humeur avec tout le monde, d'une humeur sans bornes, d'une humeur à toute épreuve .. d'une humeur exaspérante ! Pour Ariel, la vie n'en valait pas la peine. A quoi bon sourire ? La mort est si proche. A tout instant, elle vous narguait, provoquant délibérément accidents minimes à catastrophes naturelles, histoire de vous retirez toutes illusions : elle avait la mainmise sur tout ce que représentait cet univers, tenter de lui échapper était vain. Seulement, aussi piètre l'opinion d'Ariel sur l'existence était-elle, il savait que jamais il ne s'adonnerait au suicide. C'était sa manière à lui de retarder l'échéance fatale, de retourner à la Mort un impertinence de plus. Désespoir, ironie. Il savait qu'il en avait pour longtemps. Après tout, peut-être resterait-il en vie, peut-être acquierait-t-il une certaine longévité, parce que les enfers désiraient le torturer éternellement, un éternel assez long pour qu'il soit totalement désenchanté de la vie, et qu'il s'abandonne aux Mange-Morts dans un dernier souffle ... Quelle imagination. Amadéa souriait toujours, face à lui, décidée à lui insuffler son goût de la vie. Il lui rendit son sourire .. un sourire borné de sarcasme. Le ton était donné. Elle n'hésita pas à commander deux verres de whisky, et le sourire ironique d'Ariel s'effaça pour laisser place à un regard noir. Il ne pensait pas déstabiliser la jeune femme pour le moins du monde, mais au moins aurait-il essayé. Elle savait sans aucun doute qu'il ne voulait pas d'elle ici..
« Tu bois, cher Iceberg? » Belle image ... qui n'eût pour effet que de l'assombrir encore. Il n'était vraiment pas d'humeur à jouer les joyeux drilles avec elle. S'ensuivit l'expression moqueuse sur le visage de son interlocutrice récente, et il soupira. Il n'aurait vraiment pas dû sortir. Il n'aimais pas qu'on l'aborde ainsi, et encore moins d'une réplique satirique de sa personne. Cependant, il ne laisserait pas à cette femme le plaisir de l'avoir raillée sans recevoir aucune contrepartie - peut-être était-ce là son but, mais son ego prit le pas sur la raison. « Je bois... Que te vaux ce sourire ? Tu viens de comprendre que l'arc-en-ciel n'est autre que de l'eau avec un peu de soleil ? Petite Sotte... » Il murmura ces derniers mots, de façon à ce que seul lui puisse les entendre. Il soupira encore. Les deux whiskys arrivèrent bientôt, et Ariel ne savait vraiment pas ce qu'il devait faire. Il n'avait aucune envie de rester, et se sentait épuisé rien qu'à l'idée de déjà reprendre le chemin du retour. Dilemne. Amadéa le faisait penser à Kyle, son ami d'enfance... Sûrement pour cette raison avait-il un oeil mauvais à son égard. Après tout, il n'avait rien contre elle, si ce n'était qu'elle l'importunait sans cesse. Elle n'y était pour rien si la vie l'avait accablée de souffrances. Il était songeur ; la présence de la femme importait peu. Il l'ignorerait. Voila, c'est le bon choix, exactement ... Il se félicita intérieurement. Commençait se poursuivrait l'entrevue ? Il tentait de se persuader que cela était égal, mais il était suspicieux quant aux intentions d'Amadéa. Elle était capable de tout à ses yeux ...

Emmerdant. Ce gosse était emmerdant. Jusqu’à très récemment, elle aurait sans doute réussi à trouver une excuse à son comportement égocentrique. Sauf que sa naïveté avait disparue, désormais, elle voyait les gens tels qu’ils étaient. Il pensait peut-être faire pitié. Ou bien, il se croyait mystérieux, stupide gamin incompris dans une société pourrie. Égoïste! Elle aurait tant donné , pour être à sa place…Sans limite de temps, sans bombe à retardement qui menace à chaque seconde de vous exploser en pleine tronche. Sous la table, Madée serra ses doigts jusqu’à ce que ses jointures blanchissent. Se calmer, ne pas montrer sa colère. N’avait-elle pas accepté la fatalité qui se rapprochait d’elle? L’autre lui envoya un regard noir ; la poufsouffle élargit volontairement son sourire, feignant un débordement de joie et une stupidité abusive. Croyait-il l’impressionner avec ses manières désagréables, ce serpent imbécile? Merlin! Que c’était difficile de garder son sang froid, face à ce garçon…

Pourquoi s’acharnait-elle sur lui, déjà? Elle-même n’arrivait pas à répondre à cette question. Malgré tout le dédain qu’il lui inspirait, la jaune et argent se retrouvait continuellement en sa compagnie, tentant de lui apprendre à vivre. La jeune femme savait bien qu’elle devait exaspérer l’adolescent ; mais elle s’en foutait. Elle rageait, le détestait, oui…Sauf qu’elle tentait tout de même de l’aider, en tâchant de camoufler la haine qu’il lui inspirait. C’était peut-être réciproque? Quoi qu’il en soit..elle s’en foutait. Elle redressa la tête, secouant sa chevelure blonde. La chope de whisky attira son regard, détournant un instant son attention de Ariel. Boire. Oublier. C’était ce dont elle avait besoin… Attention. Non. Elle en avait marre, d’être prudente. De surveiller ses gestes et son corps, par crainte de plonger davantage. Elle chutait déjà…sa progression dans le couloir de la mort ne pouvait être qu’accélérée. Et serait-ce si dramatique? Elle était prête, après tout.
« Je bois... Que te vaux ce sourire ? Tu viens de comprendre que l'arc-en-ciel n'est autre que de l'eau avec un peu de soleil ? Petite Sotte... » La femme se raidit mais son sourire demeura intact, bien que forçé. Elle allait l’étrangler. Le forcer à se soûler puis l’abandonner dans la forêt interdite, sans sa baguette. D’abord, le museler… Un cordon de cuir ferait très bien l’affaire. Pour le traîner sans attirer les soupçons, elle n’aurait qu’à prétendre être sa sœur. La poufsouffle lâcha un petit rire ; ses idées, bien que sombres, avaient un effet calmant sur elle. « En réalité, je t’imaginais nu. Et honnêtement, il y a de quoi sourire… » Allait-il réagir? Madée posa une de ses mains – blanchie par la pression qu’elle lui avait fait subir- sur la table. Désignant du menton l’une des chopes, elle continua : « Je te propose un concours… Si tu gagnes, je ne t’adresserai plus jamais la parole. Ce qui ne sera pas pour te déplaire, je présume. SI tu perds , tu m’appartiens pour le reste de la journée. » Elle n’attendit pas sa réponse, poussant le wisky vers lui avant d’en commander deux nouvelles tasses au serveur. Son sourire s’élargit. « Le premier qui termine ses deux chopes gagne… »
Accepte…Pauvre con!